Pierre Bruegel : un nom universellement connu, l’un des artistes les plus célèbres au monde, des œuvres incontestablement populaires auprès de tous. Et pourtant, derrière ces peintures reproduites dans des milliers de publications, on ne sait rien – ou presque – de l’homme. On ignore à cinq ans près sa date de naissance. Malgré de nombreuses hypothèses, le lieu où il naquit reste un mystère. Il n’a laissé aucun écrit. De rares documents nous apprennent qu’il débuta sa carrière à Anvers vers 1551, dans le domaine de la gravure. Il n’aborda la peinture que bien plus tard, à partir de 1557. Le 4 septembre 1596, dans la fleur de l’âge (il n’avait guère plus de quarante ans), il mourut à Bruxelles, où il vécut 6 ans, au 132 de la rue Haute, et il fut inhumé à l’église de la Chapelle.
Mais est-il nécessaire de disposer de la biographie détaillée d’un artiste pour apprécier son œuvre ? Dans le cas de Bruegel, il s’agit d’une quarantaine de tableaux, produits en une dizaine d’années, en majorité à Bruxelles. Ils dépeignent pour la plupart d’admirables paysages dans lesquels on entre sans difficulté. Pourtant, quand on y regarde d’un peu plus près, des détails se révèlent, surprennent, inquiètent : Que fait cette pie sur un gibet ? Sur quel malheureux oiseau cette trappe anodine au bord d’un canal gelé va-t-elle s’abattre dans ce paisible village enneigé ?
Si le personnage reste flou, son époque, par contre, est aussi bien connue qu’elle n’est tumultueuse : Bruegel a assisté aux tournées sulfureuses des prédicateurs protestants, il a vécu les exactions intégristes des iconoclastes, il a vu défiler les troupes sanguinaires du duc d’Albe et il a sans doute, comme beaucoup, détesté les envahisseurs espagnols envoyés par le cruel Philippe II. C’est ce que laissent en tout cas supposer les multiples allusions à son époque qui fourmillent dans La tour de Babel, Les Deux singes, Le Portement de Croix, Le Triomphe de la mort. Mais à côté de ces œuvres inquiétantes de « Bruegel le drôle », Bruegel surnommé encore « le peintre des paysans » a aussi célébré la joie simple de vivre, le bonheur rustique de la bonne chère, de la danse et de la musique. Quatre cent cinquante ans plus tard, des tableaux tels que La danse de la mariée, Le repas de noces, La danse des paysans nous font revivre ces scènes qui animaient ce Pajottenland si proche des Bruxellois. Côté lumière de cette Flandre gouailleuse malgré l’envahisseur des années 1560. Mais côté ombre, c’est dans cette même région, sous le clocher de Sint-Maertens-Lennik, que se précipitent inexorablement vers leur perte les pauvres hères de La parabole des Mendiants
Et Icare, dont la chute passe inaperçue des personnages du célèbre tableau du musée de la rue de la Régence, est-il un génie ignoré ou un blanc-bec présomptueux ? Ombre ou lumière ? Pénombre mystérieuse, sans doute, tant au sujet de l’auteur de l’œuvre que des symboles discrets qu’on s’efforce d’y découvrir …